samedi 19 octobre 2013

Via Rue89 : Le mirage trop vert de Jeremy Rifkin

Article mis à jour le 23/04/2023.
(Trop joli ce titre !)


    Voici hélas un article sur lequel je ne trouve rien à redire. Je connais trop bien en effet le discours souvent trop optimiste de nombre d’écologistes, sincères ou non. Beaucoup croient en effet que la nécessaire transition écologique se fera comme si de rien n’était (business as usual).


    J’ai souvent l’occasion dans mon travail d’entendre ces nouveaux convertis tirer des plans sur la comète de l’écologie (des plans « juteux » le plus souvent). La plupart sont des chantres de ce que l’on appelle le « capitalisme vert ».


    Je ne peux les blâmer, car c’est le résultat d’un gros effort que d’avoir pris conscience de la nécessité de la transition écologique et il est vrai que certains chiffrent sont difficiles à appréhender. Mais il existe également de vrais filous, pour lesquels l’écologie n’est qu’un nouveau moyen de s’enrichir. Rien de changé sous le soleil semble-t-il…


    Ne rêvez donc pas trop au monde merveilleux que vend Jeremy Rifkin. Il ne suffira pas de disposer dans nos backyards de jolies éoliennes customisées par Philippe Stark ou des panneaux solaires chinois sur nos toitures pour tourner la page gluante du pétrole !


Ne rêvez pas !



    Eh bien non, chers lecteurs, à moins d’une découverte majeure, un saut technologique imprévu, nous ne pourrons plus continuer de nous gaver d’énergie pas chère comme nous l’avons fait depuis notre entrée dans l’ère industrielle.


    Peut-être que c’est justement parce que certains économistes (1) ont compris cela, que se déroule actuellement cette ultime razzia des classes dominantes sur les richesses ? Mais bon, là, je digresse…

    Lisez donc plutôt cet excellent article publié par Bertrand Cassoret (ingénieur et docteur en génie électrique, maître de conférences à l’université d’Artois depuis 1996), sur le site Rue89 : Jeremy Rifkin plaît beaucoup, mais il maîtrise mal ce dont il parle.



Pour le cas où l’article viendrait à disparaître (cela arrive), vous trouverez toujours ci-dessous sa copie. Mais lisez-le plutôt sur Rue89 afin de respecter le travail de l’auteur.


Jeremy Rifkin plaît beaucoup, mais il maîtrise mal ce dont il parle

TRIBUNE

Jeremy Rifkin, économiste américain, est l’auteur de « La Troisième révolution industrielle ». Très à la mode dans les milieux politiques (de gauche comme de droite), il se fait rémunérer des sommes non négligeables pour des « master plan » qui promettent un avenir meilleur. Il a ainsi été payé 350 000 euros par le conseil régional du Nord-Pas-de-Calais.

Le discours de Jeremy Rifkin plaît aux politiques parce qu’il est optimiste et fait rêver. Il est plus facile de gagner les voix des électeurs en vantant la troisième révolution industrielle qu’en étant pessimiste. Mais il s’agit bel et bien d’une utopie. Nos politiques semblent connaître bien mal tous ces problèmes pour être prêts à y croire.
Sans doute pensent-t-ils plus ou moins consciemment que les progrès technologiques futurs apporteront des solutions, mais c’est ignorer que presque tous les « miracles » accomplis par la technologie (voler, marcher sur la Lune, décupler les rendements agricoles, remplacer des organes humains, communiquer d’un bout à l’autre de la planète...) n’ont pu voir le jour que grâce à une consommation toujours plus importante d’énergie.

La technique n’est pas son problème
Le livre de Jeremy Rifkin explique comment « le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde ». L’auteur commence par y rappeler avec raison l’importance des énergies fossiles (charbon, gaz, pétrole), leur raréfaction et le réchauffement climatique qu’entraîne leur combustion. Ces énergies ont permis les deux premières révolutions industrielles (charbon et machine à vapeur, pétrole et électricité) qui ont métamorphosé les pays développés. Il expose ensuite rapidement les cinq piliers de la troisième révolution :
  • le passage aux énergies renouvelables ;
  • la transformation du parc immobilier en ensemble de microcentrales énergétiques qui collectent des énergies renouvelables ;
  • le stockage de l’énergie, essentiellement sous forme d’hydrogène dans chaque immeuble de façon à stocker les énergies intermittentes ;
  • L’utilisation d’Internet pour transformer le réseau électrique en réseau de partage de l’énergie fonctionnant comme Internet ;
  • Le remplacement des véhicules actuels par des véhicules électriques capables d’acheter et de revendre l’énergie stockée sur un réseau électrique intelligent.
A ce niveau du livre, 58e page sur 380, on attend de la suite des explications sur la façon dont ce miracle va se mettre en place et un minimum d’informations techniques chiffrées. Mais la suite est bien décevante. Jeremy Rifkin, qui ne connaît apparemment pas grand-chose aux problèmes technologiques dont la compréhension est pourtant cruciale dans ces débats, se contente de se référer à quelques travaux scientifiques lui permettant de se rassurer sur la faisabilité de son plan.
La technique n’est pas son problème, la volonté politique lui paraissant sans doute plus importante que les limites physiques !

Confusions, bizarreries et caricature

Une partie du livre, dont on cherche l’intérêt, est consacrée aux récits de ses rencontres avec les grands de ce monde (José Manuel Barroso, Angela Merkel, le prince Albert de Monaco, divers PDG…). On ne trouve aucun exposé sur les résultats de ses plans déjà mis en place dans diverses villes. Les quelques tentatives d’explications techniques sont très floues, par exemple :

« Notre équipe de développement urbain crée des plans stratégiques qui insèrent les espaces urbains et suburbains existants dans une enveloppe biosphérique. »

Ses propos montrent qu’il maîtrise mal ce dont il parle. Il nous explique page 137 que « la ville de San Antonio a économisé 142 mégawatts dans les deux dernières années », confondant ainsi puissance et énergie (on peut consommer une puissance de 142 mégawatts à un instant donné, ou une énergie de 142 mégawatts-heure en deux ans).

Page 144, il parle de production d’électricité sur les immeubles à partir d’installation solaire thermique (le solaire thermique produit de la chaleur et non de l’électricité…). Je passe sur d’autres bizarreries.

Sa critique du capitalisme est sans doute juste mais sans grand rapport avec la production d’énergie. Sa critique du système scolaire est caricaturale quand il affirme que « débiter des ouvriers productifs est devenu la mission principale de l’éducation moderne », destinés à « servir des entreprises despotiques et centralisées… sans jamais remettre en cause l’autorité ».

Revenons un peu sur les cinq piliers...

J’avoue toutefois avoir été agréablement surpris de lire que Jeremy Rifkin déplore que si peu d’économistes aient des connaissances de la thermodynamique et des lois de l’énergie alors que « la transformation de l’énergie est le fondement même de toute activité économique ».

Mais si Jeremy Rifkin avait connaissance des lois physiques contre lesquelles la volonté politique ne peut rien, il n’affirmerait pas que ses propositions vont permettre une révolution. Revenons sur ses cinq piliers...

1
Le passage aux énergies renouvelables

En l’état actuel des connaissances, il est impossible de capter suffisamment d’énergie renouvelable pour remplacer les énergies fossiles et nucléaire. Certes, le soleil amène largement plus d’énergie chaque jour à la Terre que les terriens n’en ont besoin, mais savoir la capter et la stocker n’est pas une mince affaire.

Les plans de sortie du nucléaire, pourtant réalisés par de fervents partisans des énergies renouvelables, ne prétendent pas que ces énergies soient capables de produire autant qu’aujourd’hui : il faudrait, d’après ces plans bien optimistes sur les renouvelables, diminuer de 50% la consommation.

Etant donné que « la transformation de l’énergie est le fondement même de toute activité économique », il est clair qu’une baisse de 50% de la consommation d’énergie est tout à fait incompatible avec la croissance économique recherchée par tous les dirigeants parce qu’elle est censée améliorer le niveau de vie, faire baisser le chômage et la pauvreté… Jeremy Rifkin est-il pour la décroissance économique ?

2
La transformation du parc immobilier...

... en ensemble de microcentrales énergétiques qui collectent des énergies renouvelables

Jeremy Rifkin imagine ici des éoliennes et des panneaux photovoltaïques sur tous les bâtiments. La plupart des particuliers qui ont tenté de mettre une éolienne sur leur maison s’en mordent les doigts : le vent ne souffle pas suffisamment à hauteur des maisons et il est très perturbé en ville à cause des immeubles. La maçonnerie et les charpentes ne sont pas prévues pour résister aux contraintes mécaniques qu’imposent des éoliennes. En supposant un facteur de charge optimiste de 25% (le facteur de charge permet de tenir compte de l’irrégularité du vent), il faudrait environ 25 millions d’éoliennes individuelles de 2 kilowatts (kW) pour produire un peu plus de 20% de la consommation actuelle d’électricité française (la consommation annuelle nette est d’environ 450 térawatts-heure (TWh)) ; celle-ci représentant elle-même moins de 25% de la consommation d’énergie totale.

Concernant le photovoltaïque, outre le fait qu’il faille plusieurs années pour que la production d’un panneau « rembourse » l’énergie nécessaire à sa fabrication, il faudrait environ 1 000 km² de panneaux pour produire 20% de la consommation actuelle d’électricité française, c’est-à-dire équiper 50 millions de toits de 20 m² de panneaux (on installe actuellement généralement 10 m² ; 1 m² de panneau produit environ 114 kilowatts-heure (kWh) par an). Mais le gros problème de l’énergie solaire est que la production diminue par temps nuageux et devient nulle la nuit (juste quand on allume les lumières…), d’où encore une nécessité de stockage.


3
Le stockage de l’énergie...

... essentiellement sous forme d’hydrogène dans chaque immeuble de façon à stocker les énergies intermittentes

Jeremy Rifkin a bien compris le problème de l’intermittence de l’éolien et du photovoltaïque, il sait que leur développement ne pourra concurrencer sérieusement les énergies fossiles que si on est capable de stocker l’énergie. Il sait aussi sans doute que le stockage par batteries est peu écologique et inenvisageable à grande échelle. Alors Jeremy Rifkin préconise la solution miracle qui consiste à utiliser l’électricité pour produire de l’hydrogène que l’on peut stocker, pour ensuite l’utiliser dans des piles à combustibles qui génèrent de l’électricité.

Cette technologie connue depuis longtemps serait bien plus utilisée si elle était vraiment efficace et pratique. Il omet de dire que le stockage sans danger de l’hydrogène n’est pas aisé, que les deux conversions entraînent une perte d’au moins 75% de l’énergie (ce qui nécessite de multiplier par quatre les moyens de production !) et que la pile à combustible ne pourrait être fabriquée en grande série car elle nécessite des métaux rares comme le platine.


4
L’utilisation d’Internet pour transformer le réseau électrique...

... en réseau de partage de l’énergie fonctionnant comme Internet
J. Rifkin fait ici allusion à diverses techniques à la mode :

Les « smarts grids », ou réseaux intelligents, qui permettent d’optimiser la production, le transport et la distribution d’électricité. Rien de bien nouveau car le réseau électrique est depuis toujours un réseau de partage de l’énergie sur lequel divers producteurs injectent de l’électricité en fonction des besoins des consommateurs. Mais l’énergie ne se partage pas comme les données informatiques : les smart grids ne dispensent pas de devoir ajuster en permanence la production et la consommation ;

Les moyens de production décentralisés, censés générer moins de pertes dans les réseaux que les grandes installations centralisées. Jeremy Rifkin oublie que l’on doit transporter aussi l’électricité produite de manière décentralisée (c’est justement le foisonnement géographique qui permet d’atténuer un peu les problèmes d’intermittence éoliens) et il ignore qu’il faut plus de matière et d’énergie pour mettre en place et maintenir 100 petites installations plutôt qu’une seule 100 fois plus puissante ;

Le « pouvoir latéral » qui doit remplacer le pouvoir hiérarchique et favoriser les échanges d’énergie : une grande partie de nos maux viendrait de la centralisation de gros moyens de production aux mains de grandes entreprises capitalistes. Je comprends qu’on puisse leur préférer une économie coopérative, mais ça ne changera pas les règles physiques ;


5
Le remplacement des véhicules actuels...

... par des véhicules électriques capables d’acheter et de revendre l’énergie stockée sur un réseau électrique intelligent

Le véhicule électrique pourra effectivement être une alternative aux véhicules à pétrole si on accepte une moindre autonomie et un temps de recharge assez long. On peut effectivement envisager que les véhicules garés, revendent aux heures de pointe, un peu de l’électricité stockée dans leur batterie. Mais il faudrait produire l’électricité nécessaire à la recharge des batteries.

Selon Jean-Marc Jancovici, en qui j’ai toute confiance, électrifier tous les véhicules à pétrole de France nécessiterait une production supplémentaire d’électricité d’environ 50% (200 TWh), soit l’équivalent de la production de dix-huit EPR supplémentaires, ou de 50 millions (!) d’éoliennes individuelles de 2 kW. Même si l’on n’a pas l’ambition de faire parcourir avec de l’électricité tous les kilomètres parcourus avec du pétrole, il est clair que l’objectif de sortie du nucléaire (qui nécessiterait de réduire d’au moins 50% la consommation d’électricité) est incompatible avec l’électrification des véhicules.

Pas un mot dans le livre de Jeremy Rifkin sur l’amélioration de l’efficacité énergétique, en particulier le nécessaire renforcement de l’isolation des logements, alors que c’est un des rares points qui fassent l’unanimité dans les débats sur l’énergie.

Pas un mot sur les stations de transfert d’énergie par pompage (Step), la seule technique de stockage d’électricité actuellement utilisée à grande échelle qui devrait être développée davantage.



Nous sommes condamnés à vivre moins bien

A terme, nous sommes condamnés à vivre avec moins d’énergie, c’est-à-dire à vivre moins bien car c’est l’abondance d’énergie fossile qui a permis l’énorme évolution des pays riches, passés en 200 ans d’une société agricole au début du XIXe avec une espérance de vie de 30 ans, à une société confortable d’emplois tertiaires.

Il faut près d’un mois de travail à un être humain pour produire la même quantité d’énergie que celle contenue dans un litre d’essence. Moins d’énergie, c’est moins de transports, moins de machines et moins de chaleur, c’est donc inévitablement plus de travail, plus de pauvreté, de tâches ingrates, moins de confort, de loisirs, de soins médicaux, de congés, de nourriture, de logements, d’emplois intéressants, de culture, d’éducation, de développement... Il faut s’y faire.

On peut essayer de limiter les dégâts mais ce ne sont pas les théories de Jeremy Rifkin qui changeront l’avenir du monde. Leur danger est de faire partir les politiques dans de mauvaises directions, et de faire croire qu’ils ont le pouvoir de faire des miracles. La déception sera encore plus grande.



Bon sang, je suis complètement d'accord avec ce Bertrand Cassoret !

Bon, alors vous en pensez quoi ?

Etes-vous prêts à ce changement de vie ? Vous peut-être, qui lisez cet article, mais pensez-vous que nos concitoyens soient prêts ?



Personnellement j'ai un doute...

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